Ce matin, je suis tombé sur un article de Derek Thompson, journaliste chez The Argument, titré “Vous avez 18 mois”. Ce titre évocateur a immédiatement attiré ma curiosité, si bien que j’ai plongé dans sa lecture. Le message de l’article est clair : le véritable danger de l’intelligence artificielle ne réside pas dans le risque qu’elle nous remplace, mais plutôt dans la possibilité qu’elle nous empêche de penser par nous-mêmes. En effet, les statistiques sont alarmantes : les scores de lecture aux États-Unis atteignent leur plus bas niveau depuis 32 ans, selon le Nation’s Report Card de janvier 2025. De plus, la lecture de livres pour le plaisir a chuté de 40 % depuis les années 2000.
Il est désolant de constater qu’au sein des universités d’élite, des étudiants arrivent sans avoir jamais lu un livre en entier. Ce constat ne choque apparemment pas grand monde, car nous sommes trop occupés à demander à ChatGPT de nous résumer des contenus que nous devrions traiter par nous-mêmes. Thompson compare la lecture et l’écriture à une potion magique, celle qui nous permet d’accéder à une pensée symbolique profonde. Lire et écrire ne sont pas seulement des compétences, ce sont des outils essentiels pour le développement de notre esprit. Comme l’explique Thompson, nous sommes en train de laisser de côté ce pouvoir car il est plus facile de déléguer à une IA ces tâches cognitives.
Le vrai luxe de demain, ce ne sera plus d’avoir accès à l’IA, mais de garder un cerveau capable de penser en profondeur.
Étonnamment, nous avons conscience de ce phénomène. Personnellement, je tente de retrouver le goût de la lecture afin de maintenir ma matière grise en forme. Malgré nos connaissances sur ce déclin de notre capacité intellectuelle, nous continuons à choisir le chemin de la facilité. Cela illustre une culture d’optimisation poussée à l’extrême : nous cherchons à rendre nos vies plus efficaces, mais nous avons également tendance à minimiser l’effort nécessaire pour faire fonctionner notre cerveau. De la quête d’efficacité à court terme découle un véritable suicide cognitif à long terme.
Derek Thompson met en garde : dans 18 mois, l’intelligence artificielle pourrait atteindre notre niveau actuel de réflexion. Mais nous, qu’en sera-t-il de notre propre niveau ? Alors que l’IA s’améliore, allons-nous au contraire régresser au point de devoir nous adapter à sa façon de penser ? Ce phénomène de “deskilling” cognitif est préjudiciable : il nous déqualifie intellectuellement, tout comme les machines ont réduit la compétence physique des ouvriers au XIXe siècle. En remplaçant notre raisonnement par l’IA, nous risquons d’amoindrir notre capacité à penser de manière critique.
Il est crucial de noter que l’IA conversationnelle agit comme une drogue cognitive. La gratification instantanée qu’elle procure, associée à l’absence d’effort, crée un schéma addictif semblable à celui des réseaux sociaux. Bien que nous croyons devenir plus productifs, nous devenons en réalité plus dépendants et moins aptes à réfléchir. Tout en reconnaissant les avantages de l’IA, il est impératif d’apprendre à l’utiliser de manière réfléchie, pour préserver notre hygiène mentale et notre capacité de pensée critique.
Pour contrebalancer cette tendance, ne négligeons pas la lecture et l’écriture, considérons-les comme un exercice pour notre esprit. Il est essentiel de continuer à lire des livres, des articles, et de s’engager dans l’écriture, car ce processus favorise une réflexion plus profonde. À l’instar des développeurs qui codent, il est impératif de garder une compréhension approfondie de ce que nous faisons, même lorsque nous utilisons des outils d’automatisation. Ce chemin peut sembler long et laborieux, mais il est le seul moyen de garder notre esprit fonctionnel et vif.