Imaginez-vous dans des toilettes publiques en Chine, ayant à peine terminé vos affaires. Quand vient le moment crucial de s’essuyer, vous vous heurtez à un distributeur de papier toilette qui vous demande de scanner un QR code. Face à l’urgence de la situation, vous n’avez d’autre choix que de sortir votre smartphone, de scanner le code et de vous retrouver à visionner une publicité de 30 secondes pour des couches-culottes. En récompense de votre “investissement” de temps, vous obtenez… six feuilles de papier toilette. Mais que faire si cela ne suffit pas ? Vous pouvez soit regarder une nouvelle vidéo, soit débourser 0,5 Yuan, soit environ 7 centimes d’euro, pour obtenir plus de papier. Ce n’est pas un fait isolé ; ces distributeurs intelligents, pourtant déroutants, émergent de plus en plus dans les lieux publics chinois.
Cette initiative vise à lutter contre le gaspillage, selon les autorités. Sur le papier, cela semble louable. Cependant, cela soulève de nombreuses interrogations sur la liberté individuelle et sur la façon dont des produits de première nécessité, comme le papier toilette, sont désormais traités comme des marchandises soumises à un échange entre temps d’attention et satisfaction des besoins biologiques. Rappelons qu’en 2017, le Temple du Ciel à Pékin avait déjà testé des distributeurs de papier toilette à reconnaissance faciale, où les utilisateurs devaient patienter neuf minutes pour avoir une nouvelle fourniture de papier. Une méthode jugée efficace par certains, mais qui soulève des préoccupations morales et pratiques majeures.
Dans cette dystopie moderne, même les besoins fondamentaux sont devenus des opportunités commerciales.
Cette approche commerciale des toilettes publiques s’inscrit dans la “révolution des toilettes” lancée par Xi Jinping en 2015, dont l’objectif initial était d’améliorer l’accès et la qualité des infrastructures sanitaires. Pourtant, ces améliorations viennent avec un prix nouveau : l’exploitation de nos besoins naturels pour le profit. En effet, les toilettes publiques deviennent un véritable laboratoire pour tester de nouvelles règles de consommation, en subtilisant le confort et la décence au profit de la publicité. Qui oserait manifester juste avant de s’asseoir pour faire leurs besoins ? Cela soulève ainsi un véritable dilemme éthique.
Il faut également prendre en compte de nombreux problèmes pratiques. Que se passe-t-il si votre téléphone est hors-service ? Pas de papier pour vous. En revanche, avec un enfant qui ne peut pas atteindre le scanner facial, que faire ? La question de l’hygiène est également problématique, avec tous ces utilisateurs partageant le même écran. Plus troublant encore, cette nouvelle dépendance à la technologie pour satisfaire un besoin naturel pourrait-elle s’étendre à d’autres domaines ? Imaginer des bancs publics, fontaines à eau, ou même passages piétons exigeant des publicités avant d’être accessibles, semble farfelu mais pourrait devenir une réalité.
La réalité est que la Chine, malgré son régime politique communiste, est devenue un terrain fertile pour le capitalisme de surveillance, où même les besoins les plus élémentaires sont convertis en opportunités commerciales. Avec un coût d’environ 720 dollars pour ces distributeurs, il est indéniable que des milliers de rouleaux de papier pourrait être achetés pour le même prix. Mais au lieu de cela, la monétisation de la nécessité s’impose, comme un triste reflet d’une société où la commodité prime sur la dignité.
Bien que l’on puisse se moquer des toilettes dystopiques de la Chine, il est essentiel de reconnaître que cette tendance n’est peut-être pas si lointaine chez nous. Nombre de services “gratuits” exigent désormais de visionner des publicités, transformant insidieusement notre rapport à la consommation. La différence principale réside dans le degré de subtilité qui nous est attribué en Occident. Si, un jour, vous croisez l’une de ces machines en France, sachez que certaines personnes pourraient préférer s’essuyer avec la machine plutôt que d’y participer. Bienvenue dans un monde où même nos habitudes les plus intimes sont séquestrées par le marché.