Le dialogue social en France souffre d’un déficit criant de légitimité et d’efficacité. Trop souvent perçu comme un espace fermé, réservé à un cercle d’initiés, il peine à mobiliser l’ensemble des salariés et à répondre réellement à leurs attentes. Pourtant, cet outil pourrait être une clé essentielle pour identifier précocement les problèmes, anticiper les mutations à venir et renforcer la cohésion interne. En intégrant davantage la voix des employés, il devient possible de faire émerger des idées novatrices et d’établir une véritable convergence entre partenaires sociaux et direction.
Une étude d’Alternego, un cabinet spécialisé dans la négociation et la gestion des conflits en entreprise, montre que 78 % des salariés considèrent le dialogue social comme un moyen de défendre leurs droits, tandis que 71 % le voient comme un levier pour accompagner les transformations. Cependant, dans la pratique, la réalité est bien différente : seulement 36 % d’entre eux pensent que les accords signés répondent à leurs besoins. La divergence de perception entre salariés et acteurs officiels est manifeste, ces derniers estimant souvent que leur organisation satisfait davantage ces attentes. Justine Kieffer, consultante chez Alternego, observe que trop d’accords encadrent sans véritablement transformer ou résoudre les problématiques concrètes sur le terrain.
Le dialogue social doit devenir un baromètre permanent, un espace où l’on parle de transformations avant qu’elles ne s’imposent.
Face à ce constat, quelques entreprises tentent de renouveler leur approche du dialogue social. C’est le cas de Norsys, une société de services numériques où les 750 employés sont régulièrement consultés via des questionnaires et des entretiens qualitatifs. Ces échanges aboutissent à des propositions concrètes votées par les salariés, une méthode développée par Sylvain Breuzard, président de l’entreprise. Lors d’un de ces processus, une idée inattendue a émergé : un désir d’être connectés à la nature dans le cadre de leur environnement professionnel. Cette envie, qui n’aurait jamais été formulée par la direction ou lors des réunions classiques, a été portée par les salariés eux-mêmes. La mise en place de cette initiative a été orchestrée par le dialogue social, illustrant sa capacité à faire émerger des besoins latents.
Malheureusement, l’exemple de Norsys reste une exception dans le paysage français. Alors que le contexte social devient de plus en plus tendu — inflation, conflicts collectifs, négociations salariales difficiles ou opposition à la réforme des retraites — le dialogue social devrait, en théorie, jouer un rôle central. Mais son état actuel, marqué par un manque d’information et de formation des acteurs, le limite à un espace élitiste, peu accessible aux salariés.”Il reste perçu comme l’affaire d’un cercle restreint et éloigné de ceux qui le vivent au quotidien” remarque Justine Kieffer. La méconnaissance des enjeux et la faiblesse des moyens mis en œuvre empêchent de faire du dialogue social un outil adapté aux défis futurs, notamment face à des enjeux comme la transition écologique ou l’intelligence artificielle, qui restent peu abordés dans ces espaces.
Selon l’étude, même chez les moins de 35 ans, qui manifestent une volonté d’en apprendre davantage, la connaissance du fonctionnement du dialogue social est limitée : seuls 50 % savent quel est le rôle des représentants du personnel, contre plus de 60 % chez les plus âgés. Pourtant, cette tranche d’âge est aussi la plus motivée à se sensibiliser, avec 74 % souhaitant être mieux informée, preuve du potentiel inexploité pour renforcer la dynamique participative dans l’entreprise. Cependant, les sujets traités restent majoritairement centrés sur les conditions de travail, l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle, ou encore le pouvoir d’achat, à l’exclusion de thématiques plus stratégiques telles que l’impact environnemental ou la transformation digitale, encore peu intégrés dans les débats.
Pour faire évoluer le dialogue social, il faut dépasser les process et ouvrir des espaces de discussion nouveaux, où les enjeux de transformation peuvent être abordés avant qu’ils ne deviennent inéluctables.
Ce constat pose la question de la nécessité d’une évolution profonde des pratiques. Il ne suffit pas de se limiter à une simple formalisation ou à des réunions ponctuelles. Des idées comme la création d’espaces de dialogue alternatifs, de groupes de travail informels, ou encore d’observatoires sectoriels avec une dimension territoriale, pourraient radicalement changer la donne. Selon Jean-François Poupard, ces dispositifs permettraient de faire sortir le dialogue de ses cadres rigides pour l’élargir à des enjeux globaux comme la RSE ou la raison d’être de l’entreprise, qui restent souvent traités à l’écart, dans des cercles restreints ou par la seule voix de la direction. À l’image de ce que propose Sylvain Breuzard avec son modèle de « permaentreprise », ces nouvelles approches s’appuient sur des principes éthiques forts, visant la préservation des ressources humaines, de l’environnement et la justice sociale, pour garantir un avenir plus durable et cohérent avec les enjeux sociétaux actuels.
