Imaginez-vous vous réveiller demain matin et découvrir que 90% des sites web ont disparu. Plus de blogs, ni de sites de presse, seulement des pages blanches et des erreurs 404. Cette vision, loin d’être de la science-fiction, est partagée par Matthew Prince, le CEO de Cloudflare, une entreprise qui gère 20% du trafic web mondial. Dans plusieurs interviews récentes, il met en lumière un effondrement du modèle économique qui a soutenu Internet pendant un quart de siècle.
Le modèle est simple : Google crawle votre contenu, vous envoie du trafic et vous monétisez grâce à la publicité. Il y a dix ans, pour deux pages scannées par Google sur un site, un visiteur était envoyé. Aujourd’hui, il faut six pages crawlées pour obtenir un seul clic. Et ce n’est pas tout, avec l’arrivée de l’IA, cette situation s’aggrave dramatiquement. Par exemple, ChatGPT de OpenAI nécessite 1500 pages pour générer un seul visiteur. Le pillage de contenu est devenu la norme, et les conséquences sont alarmantes.
“L’internet tel que nous le connaissons ne survivra pas sous sa forme actuelle.”
Ce constat amer fait déjà sentir ses effets, avec une baisse de 55% du trafic des moteurs de recherche vers les sites web entre 2022 et 2025. Des publications réputées comme le Washington Post et le HuffPost ont vu leur trafic organique divisé par deux en trois ans. Ironiquement, Google creuse sa propre tombe, avec des recherches se terminant de plus en plus sans aucun clic vers des sites externes. La montée de ce que l’on appelle les “Answer Engines” en est la cause majeure, remplaçant les liens traditionnels par des réponses directes.
Face à cette dislocation du paysage numérique, Prince prédit trois scénarios : une disparition massive des créateurs de contenu, un retour à un modèle de mécénat médiéval contrôlé par quelques grandes entreprises d’IA, ou encore la nécessité d’inventer un nouveau modèle économique, sans qu’aucune solution claire ne se dessine pour l’instant. Pour contrecarrer cet effondrement, Cloudflare a lancé AI Audit, un système destiné à bloquer les bots d’IA, tout en explorant des options comme le “pay-per-crawl” pour rendre le crawl payant pour les intelligences artificielles.
Les éditeurs subissent une “menace existentielle”, et alors que certains comme le New York Times choisissent de se battre en justice, de nombreux petits blogs et médias disparaissent silencieusement. La question cruciale est de savoir quand et comment nous pourrons reconstruire sur les décombres d’un internet libre où la créativité des individus peut fleurir. Matthew Prince met en garde : une réalité claire émerge, celle d’un internet où les cinq grandes entreprises dominent et contrôlent toutes les formes de création, anéantissant l’esprit d’indépendance qui a longtemps caractérisé le web.