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Si vous êtes passés à côté de la série Adolescence, il est fort probable que vous ayez activé, sciemment ou à l’insu de votre plein gré, le mode « je vis dans une grotte ». Trois semaines après sa sortie le 13 mars dernier, cette production britannique en 4 épisodes avait déjà enregistré près de 100 millions de vues, se hissant ainsi en neuvième position des séries anglophones les plus regardées sur Netflix. En deux mots et sans spoiler ceux d’entre vous qui raffolent des intérieurs caverneux, Adolescence raconte, en un plan-séquence par épisode, la descente aux enfers d’un garçon de 13 ans happé par les recoins les plus sombres du web et l’idéologie « incel » (courant dans lequel certains jeunes hommes transforment leur absence de vie amoureuse en ressentiment misogyne). Une série glaçante, qui dérange autant qu’elle fascine car elle tend un miroir à peine déformant sur une génération paumée… à deux doigts de débouler dans nos entreprises, nos usines, nos visio-conférences et nos open-spaces. Un signal faible de ce qui attend les RH de demain, qu’il serait fâcheux de zapper.
Ce que la série Adolescence montre : un gamin livré à lui-même, confronté à la solitude, à l’humiliation et à YouTube. Au bout de sa souris, des discours bien rodés qui parlent de virilité, de pouvoir et de revanche. Le cas singulier de Jamie Miller, arrêté et accusé du meurtre de l’une de ses camarades de classe, dresse, par sa justesse édifiante, le portrait préoccupant d’une génération qui ne trouve plus de repères stables. Ni à l’école. Ni à la maison. Ni dans la société. Alors elle cherche ailleurs. Et parfois, elle tombe sur ce qu’il y a de plus accessible, de plus simpliste, de plus radical. Pas par adhésion idéologique, mais par dépendance algorithmique. L’entreprise de demain, elle, devra composer avec ces jeunes brillants, sensibles, cabossés par des récits qu’ils n’ont pas choisis. Des profils méfiants face à l’autorité, perméables aux discours extrêmes, mais en quête de cadres clairs. Le monde du travail dans son ensemble ne sera pas influencé par ces ados, mais les jeunes adultes qu’ils deviendront, si. Ce décalage avec les générations antérieures, mais aussi avec leurs pairs, peut créer des chocs culturels, des incompréhensions, des tensions. Ce n’est pas une fatalité, mais un défi à anticiper.
La fonction RH doit apprendre à anticiper les changements culturels qui s’annoncent avec cette génération marquée par des visions radicales et une absence de débats réels.
Certains diront : « Ce n’est pas aux RH de s’occuper de ce que YouTube et consorts font aux cerveaux de nos ados ». Vrai… mais aussi un peu faux. Parce que sur le terrain, et au quotidien, ce sont bien les RH (collées-serrées avec les managers) qui recruteront, intègreront, formeront, fidéliseront ou recadreront ces jeunes collaborateurs élevés selon des codes émotionnels, sociaux et culturels très éloignés de ceux de leurs aînés. Il ne s’agit pas pour les RH de jouer les psys, mais de se poser l’une des seules vraies questions qui compte : à quoi faudra-t-il être attentif demain, dans la façon de manager, d’écouter, de dialoguer, d’accompagner ?
L’idée n’est pas de demander aux professionnels des ressources humaines de binge-watcher des séries pour construire leur stratégie RH. Mais si Adolescence cartonne, ce n’est pas un hasard. C’est un thermomètre, comme ont pu l’être les incontournables Un p’tit truc en plus ou Intouchables. Le job des RH ? Ne pas détourner le regard. Décoder, traduire, cadrer. En posant des balises, en décloisonnant les silos générationnels, en réintroduisant le débat là où les bulles algorithmiques ont étouffé la contradiction. En s’assurant, aussi et surtout, que les visions radicales sur l’autorité, le genre ou la réussite, entre autres, ne viennent pas s’incruster dans la culture d’entreprise, en instaurant de vrais moments d’échange, en organisant des espaces d’écoute, en adoptant une posture de médiation plutôt que de moralisation.
Parce que si certains jeunes arrivent en entreprise avec des visions très binaires (sur les rapports femmes-hommes, le pouvoir ou la réussite sociale), c’est souvent moins par idéologie que par manque de débat réel. Adolescence est une fiction. Pourtant l’inconfort qu’elle dépeint est bien réel. Un mal-être qui s’apprête à débarquer dans l’entreprise avec des baskets, un hoodies et un regard déformé sur le monde. Les RH ne peuvent pas rééduquer ou réparer le passé. Elles peuvent, en revanche, éviter que les non-dits d’hier ne deviennent les burn-out de demain. Ce nouvel épisode ne sera pas diffusé sur Netflix. Il se jouera dans les open-spaces… et doit s’écrire dès maintenant.
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